Produire, jouir ou créer ?

Vers quel modèle économique ? « Produire, jouir ou créer ? »
Introduction au congrès régional Centre-Pays-de-Loire du Centre des jeunes dirigeants.
Vous avez choisi d’intituler ce Congrès : « Vers de nouvelles performances économiques et sociales ».

Cette déclaration d’intention me parait heureusement tonique dans une ambiance générale de regrets, de résistances au changement, de peur de l’avenir.

Vous affirmez votre intention d’aller vers quelque chose et par là, vous postulez qu’il y a un avenir, et que cet avenir, sera autre, différent de ce que nous avons connu. Vous exprimez également la confiance en vous-même pour trouver les moyens d’exceller dans cet avenir encore inconnu.

Je me sens profondément en accord avec cette attitude. La confiance en soi me semble la matière première indispensable pour trouver les moyens nécessaires aux réalisations. J’espère que ma quête et mes expérimentations contribueront un peu à clarifier cet avenir qu’il nous appartient de construire.

Réaliser une « performance » veut dire littéralement réaliser « la forme ta plus accomplie » dans le sens où on parle d’un « homme accompli ».

La forme est l’expression concrète d’une idée, elle est l’ensemble des actes visibles d’une conviction.
Nous agissons en fonction de ce que nous pensons, de ce que nous croyons. L’idée que nous nous faisions il y a quelques années encore de l’économie et du social est en train de changer. Les « formes accomplies », c’est-à-dire les performances à rechercher devront tenir compte de ces changements de conception.

Aujourd’hui trois types de conception coexistent dans la vision économique et sociale. Nous pouvons les caricaturer par trois locutions :

  • Utiliser la vie pour produire
  • Vivre avec ce qui est déjà-là
  • Rentabiliser ce que nous avons envie de vivre

Il semble clair que dans les trois cas, les performances à viser seront différentes. Voyons un peu ces trois conceptions:

1) Le plus connu est l’idéal de production maximum formulé par :

  • être compétitif
  • être leader
  • être le meilleur

Cet idéal est articulé sur la démarche stratégique de conquête de marchés.

Les stratégies sont analogiques à celles des guerres coloniales et de construction des empires. Les hommes sont considérés comme les « grognards » d’un général au service d’une certaine d’idée qu’ils se font ensemble de leur patrie : l’entreprise.
Cette vision leur permet de réaliser des victoires sur les ennemis appelés « confrères » ou « concurrents néanmoins amis ». Le vocabulaire véhiculé dans ce type d’économie est guerrier. Engagé dans ce modèle de conquête, l’entreprise ne peut que gagner ou mourir. Les hommes de l’entreprise sont formés à la complétion, à la compétence technique, tactique et stratégique. Ils obéissent à l’homme au panache blanc, adhèrent à une cause, et sont rémunérés sur le produit des rapines opérées sur les territoires conquis.

Ce qui me gène dans ce modèle, c’est que les grands stratèges : Alexandre, Napoléon, ont mal fini.

2) Par opposition à cette conception est née l’idéal de jouissance maximum, l’idéal du bonheur, bucolique du retour à la nature, de la jouissance du déjà-là.

Inversion des valeurs, il met l’accent sur la consommation. Il n’a pu naître que par réaction au modèle précédent quand des hommes et des femmes ont renâclé à vivre en guerre permanente. Il se nourrit des conquêtes des autres et de l’inaptitude des conquérants à jouir de leurs résultats.
Cette vision économique et sociale relativement récente a été symbolisée en mai 1968 par la formule:
« Faites l’amour et pas la guerre ». Elle ne peut exister qu’aussi longtemps que l’idéal de production continuera à fonctionner pour l’alimenter.
Autant le vocabulaire de la compétition est masculin et tourne autour de la force, de la puissance et du pouvoir autant le vocabulaire de l’idée de jouissance utilise les termes de l’amour, de la sensibilité et exalte l’imagination, le rêve, la douceur de vivre. Étrangement, les deux idéaux tournent autour du même mot : le premier vise le profit, le deuxième le désir de profiter.

Toute ma vie, j’ai été spectatrice souvent amusée, atterrée de ces deux aspirations :
celle du guerrier et celle du jouisseur. Je n’ai, pu faire mienne ni l’une, ni l’autre.

J’aime à la fois les frissons que procurent les victoires, les défis relevés et l’apaisement de la sensibilité nourrie par les longs échanges interpersonnels. Je n’ai pu croire être née pour produire, encore moins que les autres soient nés pour me nourrir. Je me suis donc particulièrement intéressée à un troisième type d’idéal.

3) Un type d’idéal qui commence à émerger un peu partout. Nous l’appelons idéal de création.

Il est articulé sur une autre conception de la vie et de la relation de l’homme avec

⦁ l’argent et les biens matériels
⦁ les autres hommes
⦁ la connaissance.

Il découle d’un besoin de sens. Jean-Marie DOMENACH, citant CAMUS nous a rappelé que
« L’homme est un animal qui veut du sens ».
La question que pose cet idéal peut se formuler ainsi :

Quelle économie, quelle société, permettent la vie la plus riche, la plus épanouissante pour les êtres humains ?

Le vocabulaire de cet idéal ne se réfère : ni à celui de l’amour, ni à celui de la guerre, mais à celui de l’aventure, à celui du biologique et du vivant.

Produire du profit et profiter deviennent des moyens pour autre chose, pour vivre une aventure. La vie humaine elle-même y est considérée comme une aventure à réussir : aventure individuelle partagée avec d’autres êtres engagés dans leur propre aventure personnelle. Les projets communs deviennent lieux d’exercice et d’expérience de développement personnel.

Il y a quelques jours, un garçon, réalisateur de quelques projets réputés difficiles, m’a répondu :
« J’essaye de faire de ma vie un chef d’œuvre et ce n’est pas une mince affaire. Toutes mes activités ne sont que des outils pour cela ».

Elisabeth MEICHELBECK
Chantonnay 19.6.1981