Les principales étapes de 1993 à 2083

Les trois ans qui vont suivre la publication de ce rapport seront dominés par la prise de conscience des limites du productivisme, de la survalorisation thérapeutique, de la massification et du matérialisme, obsédés de résultats à court terme.

A partir de 1993 et durant une quinzaine d’année, les interrogations et les aspirations se déplaceront d’une manière générale sur le terrain du droit, du partage, de la justice, de l’égalité et de la relation à l’altérité, d’une manière générale.
Cette période aura des analogies mythiques avec les périodes 1453 à 1468, 1633 à 1648, 1813 à 1828. Nous retenons de la période 1453 – 1468 l’illumination de Nicolas de Cues qui l’amena à considérer que tout l’effort de l’esprit humain devait être mobilisé pour « s’élever à cette simplicité où coïncident les contradictoires » et le « Dialogue sur le libre-arbitre » de Lorenzo Valla.

La recherche d’une logique du vivant, ternaire et processuelle qui joue du tiers inclus devrait apparaître après 1993 et trouver de multiples applications résolutoires aux difficiles problèmes du racisme, de la xénophobie, de l’exclusion en général. C’est dans la période 1633 à 1648 que Descartes a publié l’essentiel de son œuvre. La focalisation actuelle sur les moyens et les techniques a conduit à une profonde dénaturation de la contribution de Descartes, en ne retenant que sa Méthode. (9)

Descartes propose d’abord une rupture avec les penseurs précédents et prône l’inspection intérieure où l’esprit reste seul à seul avec lui-même (4). Il propose de concevoir au lieu de s’en remettre à ce que peuvent nous donner à voir les sens ou à ce que notre imaginaire peut produire. Par là, il place directement le penser comme un verbe, une action sur le plan conceptuel, indispensable à une approche ternaire.

Du point de vue mythique, le génie de Descartes s’exprime surtout par cette intuition, et vraisemblablement par son vécu, du plan conceptuel. Les esprits n’étaient sans doute pas mûrs pour recevoir une telle proposition, ce qui ne devrait plus être le cas durant la période 1993 à 2008. Une partie essentielle de l’œuvre de Descartes jusqu’ici négligée, voire contestée sera redécouverte. L’idée même du doute cartésien prendra toute sa dimension. Nous nous contenterons de remarquer que l’expression du doute chez Descartes est la prolongation de la vision de Nicolas de Cues sur la nécessaire coexistence paisible des contradictoires. Cette coexistence traversera la vie de Hegel, à la recherche permanente d’un troisième pôle, conceptuel, où les contradictoires coïncident. N’accouchant malheureusement que de la notion de synthèse, Hegel nous laissera quand même sa logique processuelle, pièce maîtresse, indispensable pour penser le vivant. On peut raisonnablement estimer que la phase 1993-2008 complètera cette quête fondamentale.

Ce sont les Principes de la philosophie du Droit, publiés en 1821 qui témoignent de la résonance particulièrement forte de Hegel aux mythes de cette période, ce qui ne préjuge pas de la valeur de ses conclusions. Les mythes orientent les aspirations, ils ne libèrent pas les individus de leurs engagements et des adhérences contextuelles.

Du point de vue mythique, les systèmes explicatifs n’ont aucun intérêt, seuls comptent les instants où l’esprit échappe à l’espace-temps et s’extasie dans une vision (10) des enjeux. Ces instants conditionnent ensuite des années de labeur pour tenter d’en rendre compte. Mais ce labeur ne peut faire abstraction des structures psychiques et mentales du penseur qui garantissent sa cohérence et lui permettent de rester en communication avec ses congénères.

Ces moments sublimes du VOIR s’expriment chez les philosophes sous forme de constructions mentales dans lesquelles on peut retrouver le Souffle de l’esprit, à dose homéopathique, plus acceptable par l’environnement, mais malheureusement souvent dénaturé.

Quand Feuerbach note que « le Dieu dont parle Hegel n’est autre que l’homme lui-même », Feuerbach rend un hommage extraordinaire à Hegel, que celui-ci n’aurait pas forcément été capable d’assumer, comme en témoigne son affirmation : « Je suis luthérien et je veux le rester ».

Dans cette période 1813-1828 paraît également la grande œuvre de Schopenhauer :  » Le Monde comme volonté et représentation » (1818). Là encore, du point de vue mythique, ce ne sont pas les thèses de Schopenhauer qui sont importantes, mais sa tentative d’introduire l’importance du vécu, de l’éprouvé, dans le penser, de distinguer les reflets de la source, et de rendre conscientisable un au-delà du vouloir- vivre de type égotique et des représentations dont il se sert.

Entre 1993 et 2008, les grandes idées forces qui ont sous- tendu les œuvres de Nicolas de Cues, de Descartes, de Hegel, de Schopenhauer, de Goethe à la fin de sa vie, seront à nouveau activées
et susciteront de nouvelles tentatives d’y répondre dans le contexte du moment. Durant la même période, la technologie développera intensément tout ce qui touche à l’exploration spatiale et tout ce qui est lié à la transmission par l’air. De nouveaux champs d’application, des connaissances des phénomènes ondulatoires et des hologrammes seront découverts.

Un renouveau de l’art, essentiellement de la musique et dans une moindre mesure des arts picturaux, devrait intervenir.

La relation au concept de travail dont le sens étymologique dérive du tripalium, instrument de torture de l’inquisition, se modifiera profondément. Dernier élément du triptyque Travail, Famille, Patrie, il subira une perte de prestige au profit du concept d’activité contractuelle.

De nouvelles alliances seront explorées, la question du partage sera omniprésente jusqu’à l’exploration des limites du rêve égalitaire à partir de 2003. Les querelles et les conflits seront largement explorés sur le plan diplomatique et sur le plan juridique. La valeur évolutive jusqu’ici attribuée aux conflits sera remise en question. Les conflits seront caractérisés par l’affrontement de systèmes de valeurs qui nécessiteront la relativisation des éthiques aux finalités poursuivies.

La tolérance sera mise à l’épreuve non seulement par les intégrismes et les extrémismes, mais par la nécessaire confrontation quotidienne avec l’altérité extérieure et intérieure.
Aux deux tiers de la période 1993-2008, c’est-à-dire à partir de 2003, apparaîtront les limites du droit, de l’égalitarisme, de la recherche de justice, de la tolérance. Dans le meilleur des cas, l’humanité, ou au moins une fraction de l’humanité, en tirera les leçons et il émergera la nécessaire prise en compte des sentiments exprimés par le différent, ce qui amorcera la relativisation de l’hégémonie de l’esprit scientifique sur l’ensemble des disciplines de la connaissance.

Cette période devrait générer de nouvelles approches du droit, notamment la partie du droit qui régit les contrats interpersonnels, le droit d’association et celui d’instituer des « personnes morales » qui entraînera un droit de ces « personnes morales » à disposer d’elles- mêmes en relativisant celui des fondateurs et des actionnaires à partir d’une certaine arrivée à maturité de ce que l’on nomme encore aujourd’hui des sociétés industrielles, commerciales ou de service.

La notion actuelle de justice évoluera vers les concepts de justesse, d’adéquation et d’opportunité. Ceci ne sera possible que dans les cultures aptes à relativiser toutes les prétentions absolutistes en terme de bien ou de vrai, et devrait susciter ailleurs de vives protestations conservatrices de la part de la communauté scientifique comme des communautés religieuses.

Pour que cela puisse se réaliser, il faudrait que les expériences vécues durant ces 15 ans amènent un nombre significatif d’individus à penser en-dehors des systèmes de références scientifiques ou religieux.

Le rêve égalitaire issu de la révolution française sera lui aussi relativisé et ramené au strict sens d’égalité devant la loi. Cette égalité devant la loi pourrait être largement affermie en contrepartie de la perte du rêve d’égalité de moyens. Il n’est pas certain que les déshérités en soient lésés. En gagnant en dignité ce qu’ils perdent en assistance, leur sens de l’initiative pourrait être stimulé.

Les conditions les plus favorables à cette montée de l’initiative des plus démunis est la conscientisation de la logique interne du partage et des échanges, qui n’a rien à voir avec l’idéologie des droits acquis. Les droits acquis pourraient être remis en cause, essentiellement à partir de 2008.

La période 2008 à 2018 sera fondamentalement une période de mutation, souvent par un travail de sape, plus que par des initiatives spectaculaires, véritable tournant de l’histoire plus par la transformation des mentalités que par des faits précis.

Montée des insatisfactions, angoisses sourdes, remise en cause de tous les pouvoirs, théories de l’absurde comme l’absence de sens deviendront difficiles à supporter. En même temps, la prise de conscience du pouvoir potentiel de chaque individu, et le développement des pouvoirs psychiques s’intensifieront.

Du point de vue mythique, cette période comporte des analogies avec les périodes 1828 – 1843, 1648 – 1663, 1468 – 1483.

La période 1468-1483 se caractérise par l’intérêt pour l’hermétisme, la magie, l’astrologie et la Kabbale, et un retour aux traditions orphiques et zoroastriennes en quête d’une issue au système aristotélicien.

C’est dans cette ambiance que se passent l’enfance et l’adolescence de Léonard de Vinci né en 1452, de J. Reuchlin né en 1455, de Pic de la Mirandole né en 1463, de Machiavel et d’Erasme nés en 1469.

Pour la deuxième période, nous retiendrons Pascal, qui en 1654, vit une nuit d’extase (10) qui bouleverse sa vie. Il renoue avec les interrogations existentielles fondamentales : D’où viens-je ? Où suis-je ? Où vais-je ? et propose le pari. Il critique Descartes sur un point qui devrait resurgir entre 2008 et 2023 : « l’absence dans la Méthode de la prise en compte de toute la dimension de la subjectivité vécue ». Seule une logique tridimensionnelle au tiers inclus pourra satisfaire, à la fois, les exigences de Descartes et celles de Pascal. Si Pascal paria sur l’existence de Dieu, le vingt et unième siècle reprendra sans doute sa logique du pari pour… parier sur l’existence d’un potentiel créateur en l’Homme.

Dans cette même période trouble (14), Hobbes, en Angleterre, publie « De la nature humaine » et surtout le « Léviathan » (1651) où il considère l’homme comme un loup pour l’homme, ce à quoi Spinoza a répondu dans son « Traité politique », que l’homme est un dieu et non un loup. Ce débat devrait être réactivé dans la phase 2008-2023 au fur et à mesure que se développeront les pouvoirs psychiques, et les nouveaux désordres que leur utilisation ne manquera pas de générer.

Durant la période 1828-1843, « des théologiens libéraux » s’acharnent dans les démythologisations de toutes sortes, comme David Strauss dans sa Vie de Jésus (1835) et « prolifèrent les interprétations résiduelles du Christianisme comme celles de Feuerbach dans l' »Essence du Christianisme » (1841) ou de Bruno Bauer dans « Le Christianisme dévoilé » (1843). En contrepoint la pensée profondément religieuse de Kierkegaard n’échappe pas à une vision tragique de l’existence qui soulève la nausée, le désespoir, l’errance et l’angoisse. (4)

D’autres formes de dramatisations exprimeront entre 2008 et 2023 les résistances aux changements, inhérents à cette étape, mythiquement nécessaire, et soulèveront d’autres propositions de représentations de l’Homme, créateur d’autres Golem. Il est probable que les premières applications du génie génétique à l’humain seront effectuées durant cette période, l’homme explorera de nouvelles relations à la mort et à la résurrection qui deviendront une des expressions de l’évolution permanente. Ainsi cette phase en résonance avec le mythe des métamorphoses exprimera une succession ininterrompue de « mourir pour renaître ».

Cette période 2008 à 2023 devrait être dominée par la maîtrise d’énergies nouvelles, fusion atomique, antimatière, etc. ce qui bouleversera profondément toutes les données économiques.
La relation à l’accumulation de moyens, privilèges, objets et savoirs, en sera profondément transformée, et plus particulièrement la relation à leur transmission ; cette question de la transmission, de l’étude et de la propagation lointaine sera au centre du débat dans la période 2023 à 2038.

La planétarisation de la conscience de l’homme libre et singulier, créateur de son monde, s’intensifiera vraisemblablement, mais ne pourra pas éviter toute incohérence ; on cherchera encore des médiateurs, des leaders, des guides, et des maîtres à penser aptes à réaliser cette planétarisation, au lieu de stimuler toutes les approches permettant l’autonomie du penser.

Cette période aura des analogies avec les trois phases 1483 – 1498, 1663 – 1678, 1843 – 1858, où à chaque phase se sont produites d’importantes incohérences.

Quand Christophe Colomb a découvert l’Amérique en 1492, il a ouvert la voie vers l’Ouest, la focalisation vers les pays du Soleil couchant. Ceci en conformité avec l’importance des mythes d’air, générés par le coucher du Soleil. Mais il a également favorisé la traite des noirs, la colonisation et les missions évangéliques.

La période 1663-1678 a été dominée par le roi-soleil au pouvoir absolu, préfigurant le soleil-roi de la souveraineté-individuelle, mais réactivant également les despotismes. Colbert a organisé le commerce international en fondant la Compagnie des Indes orientales et la Compagnie des Indes occidentales qui ont reçu le monopole du Commerce et de la Navigation avec l’Orient et l’Amérique, mais favorisant l’omniprésence de la civilisation occidentale sur la planète.

Durant cette période le nouveau système mythique est exprimé par la pensée de Spinoza (4) pour lequel il faut que l’individu ait « le droit de penser et de dire ce qu’il pense ».

Si l’essentiel de la pensée de Spinoza, profondément déiste, est aussi difficile à pénétrer, c’est que cette phase mythique est extrêmement ambiguë. Il y a chez lui une rencontre génératrice d’incohérence entre la réactivation des systèmes mythiques anciens et la nécessité de transmission des balbutiements du nouveau système mythique.

Toute la projection absolutiste sur des guides, des maîtres, hommes ou Dieu, chargés de diriger et d’aller enseigner toutes les nations (6) alimente les erreurs expansionnistes (contraires à la logique interne du nouveau système mythique), perpétrées depuis la Renaissance sous forme de colonialisme, d’implantations missionnaires, ou de rêves expansionnistes marxistes ou nazies.

On peut penser qu’entre 2023 à 2038 apparaîtront de nouvelles flambées réactionnaires, qu’on verra la réactivation de l’idée d’un roi du Monde qui se transformera en recherche d’une organisation « super-supranationale », mondiale, dans la phase suivante.

La tentation d’exercer une emprise psychique sur la planète entière pourrait apparaître et entraîner la complicité d’un grand nombre de peuples effrayés par l’inconnu et par l’anarchie, rendue possible par les esprits libres qui montent en puissance. Cette période pourrait connaître les premières tentatives de sortie du système solaire, d’une manière générale au moins la découverte de nouveaux territoires, de nouveaux marchés, concrets, sensibles ou conceptuels.

Dans le système de philosophie politique d’Auguste Comte (4) publié en 1851-1854 : « l’humanité doit être considérée comme le nouveau Grand Être et le nouveau Dieu », ce qui pousse Auguste Comte à fonder une nouvelle religion. Cette période 2023-2038 verra émerger de nouvelles pseudo-révélations à tendances unitaires proposant un sens, un espoir, une finalité commune à l’espèce humaine. Elles ne pourraient durer qu’en renvoyant chaque être humain à lui-même et à son propre pouvoir, ce qui est antinomique avec toute proposition idéologique et toute catéchèse, propre à des mouvements enrégimentant les esprits dociles, admirateurs des autorités chargées de penser pour eux.

La problématique de ce qui sera porteur de sens pour l’espèce humaine restera sans doute ouverte jusqu’à la formulation de la cohérence interne du nouveau système mythique quelques 120 ans plus tard.

La période 2038 à 2053 sera dominée par la recherche de nouvelles formes d’organisation des relations humaines, par la proposition de nouvelles références concrètes et mentales aptes à structurer la planète et les individus de manière compatible avec les tendances lourdes du nouveau système mythique. Par là, la maturation du nouveau système mythique entre dans sa dernière partie, couvrant la période 2038 à 2083. Cette dernière partie couvre trois étapes qui se répondent :

  • la recherche de structures d’organisation,
  • l’exploration des logiques internes des concepts pour lesquels ces structures sont conçues
  • les mythes et archétypes auxquels ces concepts se rattachent.

Elle correspond du point de vue mythique aux périodes 1498 – 1543, 1678 – 1723, 1858 – 1903.

De la Nef des fous (1500) à l’abbaye de Thélème de Rabelais (1494-1553) en passant par la Réforme de Luther (1483 à 1546) et de Calvin (1509 à 1564) proposant une république théocratique à Genève, les tentatives sont variées mais toutes s’articulent sur le génie propre à chaque individu à se gouverner lui-même.

Paracelse 1493-1541 rompt avec les traditions médicales issues de Galien et d’Avicenne, il pense qu’il y a autant de maladies que de malades. Il considère l’homme comme un microcosme analogue au macrocosme et considère que le semblable guérit le semblable. « On peut le tenir pour le véritable fondateur de l’homéopathie » (4). Elle fut inventée par Samuel Hahnemann en 1796. Faut-il en conclure que les nouvelles contributions de Benveniste à l’homéopathie ne seront prises en compte qu’après 2038, lorsque de nouveaux modes de penser et de nouvelles organisations les rendront acceptables ?

Jérôme Cardan (1501-1576), Nostradamus (1503-1566) et un Faust historique (1480-1539), devenu légendaire parce qu’on sentait « surgir à travers lui un homme titanesque capable de défier Dieu » (4), ont vécu au même moment.

De 1678 à 1723 Leibnitz « met l’infini au cœur du fini » (1646-1716) et propose une organisation « sans relation de subordination, sans rapports d’exclusion, sans relation de composition, seulement d’intégrations réciproques ». « De tels rapports d’intégration se déploient selon l’espace (ordre des simultanés) et selon le temps (ordre des successifs) (4) »

Les nouveaux modes de penser adéquats au nouveau système mythique reprendront et développeront cette idée de relations d’intégrations réciproques pour élaborer des structures en réseaux enchevêtrés et en fractals. Une des pièces manquantes actuellement pour développer ce type de logique est l’entraînement des esprits à distinguer des niveaux d’abstraction sans les hiérarchiser en dominances les uns par rapport aux autres.

En effet la notion de hiérarchie, d’ordre, relève d’un des mythes du nouveau système mythique, mais dans un sens différent de celui que véhiculent aujourd’hui ces termes. Elle a, dans le nouveau système mythique, la fonction de donner à voir, d’éclairer, de faire apparaître, de permettre de distinguer pour unir et non pour séparer, afin de rendre perceptibles les interactions et non pas de ranger dans des cases, ou des castes.

Cette co-présence du simultané et du successif sera une autre difficulté à résoudre durant la période 2038-2083 qui transformera l’approche prospective et toutes les anticipations du futur ; cette élucidation développera considérablement la responsabilité des individus et des institutions et relativisera les prises de décisions qui ne pourront plus plaider l’ignorance des conséquences aujourd’hui réputées imprévisibles.

L’ignorance cessera d’être une excuse. Elle ne sera pas comblée par du savoir, mais par le renversement de la charge de l’initiative en vue de déceler les manques de clairvoyance et d’y remédier par une amélioration du penser, de l’activité pensante et non par l’amélioration d’une référence à des pensées déjà constituées.
Newton (1642-1727) a été l’autre grand penseur de cette époque charnière. Comme Leibnitz il a voulu « respiritualiser la physique après que Descartes ait banni de son système toutes les forces non matérielles» (4).

Jean Brun (4) situe entre 1680 et 1715 ce que Paul Hazard nomme la « crise de la conscience européenne ». Ce sont en fait les premiers balbutiements du nouveau système mythique sans référence à une autorité extérieure à l’Homme. Ce sont les fruits d’une conjugaison du raisonnement cartésien et de l’empirisme anglo-saxon, dont la déclaration des peuples à disposer d’eux-mêmes en 1776 en Amérique et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en France en 1789 sont les expressions les plus évidentes.
2038 à 2083 générera les outils conceptuels permettant une nouvelle crise de conscience qui débouchera sur une formulation plus cohérente que celle du 18ème siècle. Elle aura évacué certaines aberrations comme l’idée de Robespierre de déifier la raison ou celle de Marx de déifier le prolétariat ou l’Histoire.

Si les limites et les insuffisances des thèses des Lumières apparaissent dès la fin du 18ème siècle, elles n’ont été conceptualisées,
dans une tentative de dépassement, que durant la période 1858 à 1903.

Le grand penseur de la première moitié de cette période est Marx (1818-1883) dont la pensée est un extraordinaire syncrétisme des systèmes mythiques qui sous-tendent le judaïsme et le christianisme. Le prolétariat remplace à la fois le peuple élu, les pauvres et les déshérités auxquels s’adresse le christianisme et qui ont effectivement vaincu les tenants du pouvoir romain en quelques siècles.

Le Capital (1867) reprend le mythe de la Justice et du Partage d’avant la relativisation de ce mythe par le Jugement de Salomon et le mythe de la Vierge économe, collectiviste et organisatrice des récoltes et des résultats, de l’accomplissement du Royaume des Cieux sur la Terre auquel même la Réforme n’a pas su échapper.

La phase 1858-1873 est la phase de recherche de nouvelles structures organisationnelles, les thèses de Marx ont eu le développement que l’on connaît, essentiellement dans les pays où le retard mythique est le plus grand, le développement de la conscience individuelle la plus attardée.

Le marxisme fonctionne un peu comme des cours de rattrapage accélérés. L’introduction de la dialectique et des thèses sur la religion, opium du peuple, a permis notamment à la Chine et à l’URSS de s’affranchir plus rapidement des cultures dévotionnelles. Il est probable que dans la période 2038-2083 émergeront de nouvelles propositions de ce type dont les promoteurs seront l’ensemble des religions et des courants de pensée ayant en commun les idéologies de clôture dénoncées par Kafka, nécessaires aux esprits encore trop immatures pour assumer le nouveau système.

Du point de vue mythique, c’est certainement Nietzsche (1844-1900) qui incarne le plus complètement le système en émergence. « Homme des contradictions et des déchirements vécus jusqu’à la folie », il se situe « aux antipodes des philosophies de la synthèse et de la réconciliation ». Dans « Humain trop humain », il interroge : « La détresse des âmes les plus libres, comment l’appeler ? ». Nietzsche perçoit cet homme, libre, solitaire, et sans appartenance (sans patrie) mais ne peut l’assumer. Il fait par là écho à Descartes qui affirme que le philosophe ne peut viser qu’un but « privé » vers lequel s’achemine « un homme qui marche seul et dans les ténèbres ».

Il annonce « Le Crépuscule des idoles » (1889), les trois métamorphoses de l’esprit , Zarathoustra : (le chameau devenant lion, lui-même devant muer en enfant acquiesçant au jeu de la création), « par-delà le bien et le mal » (1886) (4).

Après le « non » au vouloir-vivre égotique de Schopenhauer, Nietzsche prône le « oui » à la volonté de puissance, « à condition que ce oui ne soit pas celui des autres, mais qu’il représente à chaque fois le bourgeon terminal de la plante humaine ». (4)

Il relativise le « je pense » cartésien, affirmant que « une pensée vient quand elle veut et non quand je veux » et ouvre ainsi la question à laquelle Heidegger essayera de répondre dans : « Qu’appelle-t-on penser ? »

La période 2038 à 2083 aura à repenser la pensée et le penser et aura à explorer cette expérience accessible à chaque être humain : laisser l’intensité des interrogations le projeter hors des conditionnements spatio-temporels et par là reconfigurer ses grilles de lecture du monde. Cette expérience a déjà été signalée par Héraclite lorsqu’il se réfère à un monde commun aux éveillés, alors que chacun des dormeurs s’en va dans son monde particulier.

C’est en atteignant cette élucidation du penser que l’homme s’affranchira du mythe de la transmission et de toutes les tentatives d’endoctrinement aliénant sa liberté.
Cela prendra largement plusieurs siècles.

Mais au cours du 21ème siècle, en s’affranchissant du délire du quantitatif, lié à une organisation centripète des relations, en développant la conscience planétaire, les appartenances s’effilocheront. Les concepts de Société et de socialisation, de famille et d’entreprise, d’état et d’église ou de communauté scientifique se modifieront.

Après 2083 l’affinement du regard, maintenant doté de multiples moyens d’investigations, permettra à l’homme de bien distinguer les reflets des sources, favorisant ainsi toutes les formes d’interaction et d’union sans confusion.

Un grand nombre d’individus se focaliseront en fonction de leurs intérêts personnels sur des enjeux planétaires.

Les grandes questions philosophiques sur le sens de la vie, de la mort, des guerres, de la maladie seront reformulées.

L’enjeu, la question centrale ne sera plus la survie à tout prix, ni les rapports de force, ni les répartitions des richesses, ni de faire le bien ou de dire le vrai mais bien jusqu’à quel point sera-t-il possible de déceler, de concrétiser ce qui est adéquat à l’évolution de la conscience humaine et au déploiement du pouvoir créateur de l’homme ?

Institut de Recherche sur la Communication
Elisabeth MEICHELBECK

Bibliographie
1. Regards sur les nouveaux modes de penser dans l’entreprise Antoine Valabrègue Symbolium – CPE
2. Jean-Charles Pichon : Le Jeu de la Réalité (Cohérence) Tome 1 Les précis ridicules, Tome 2 La machine de l’Éternité
3. Recherches en cours Institut de Recherche sur la Communication publiés par Sophon.
4. La vie au cube Agnès Lacourly Ed. Sophon, Adam ou la géométrie incarnée J. Enlart Cohérence/Sophon Les certitudes oubliées J. Enlart Cohérence/Sophon
5. L’Europe philosophe Jean Brun Ed. Stock
6. Séminaires sur les grands déséquilibres mondiaux CPE (1988-1989) Séminaires d’Ethnotechnologie Collège international de Philosophie (1987-1988)
7. Évangiles
8. La Bible restituée Carlo Suarès (Cohérence)
9. Travaux du Dr. Catherine Lemaire Contribution au séminaire Symbolium (1988).
10. Travaux de Charles Krejtmann Séminaire d’Ethnotechnologie Collège International de Philosophie.

Autres ouvrages inspirants :
L’écoute des Silences T. Gaudin (éditions 10/18)
Fondements humains des programmes et des métaprogrammes Ch. Enlart, (Cohérence). Travaux de John Lilly
Au-delà du miroir. (Interéditions) Travaux sur la Programmation Neuro-linguistique (PNL)
Descartes et l’ordre politique Pierre Guenancia (Puf)
L’Ange Masqué, Traité de l’Intelligible et du Sensible. Carlo Suarès (Cohérence- Sophon)
La théorie générale des systèmes L. von Bertalanffy Dunod
Science and Sanity Korzibski
Les 3 matières S. Lupasco Sophon